[Extérieur / Nuit. Sortie des artistes.
Ciel pluvieux, vagues de béton, nuit diluvienne]C’est la fin, sortie de scène. Le dos contre le mur, les souvenirs émergent. Une fois la cigarette écrasée, il faut filer. Sur la Honda, prendre de la vitesse. La route est mouillée, au bord, un lac et la lune s’y reflète. Onde bleutée teintée de blanc, FLASH, crissements de pneus, COLLISION.
Photogramme issu du film Purple Rain, Albert Magnoli (réal.), 1997
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Quentin Stock
[Extérieur / Aurore. Quai des mines d’Eapolis.
Locomotive du futur, conducteur, horizon rosé] Le contrôleur siffle, le train entre en gare. Odeur d’acier, étincelles, il freine. Les graviers sont bruyants et c’est discrètement qu’il faut se faufiler. Ne pas se faire repérer, puisqu’une chute, un bruit et c’est perdu. Derrière le wagon, courir, sauter et s’agripper. Tenir bon, longtemps et s’accroupir ; la surveillance est récurrente. Le souffle haletant, la gorge nouée, ouvrir la porte et entrer. Se calmer, faire comme si de rien n’était.
[Intérieur / Jour. Wagon.
Abat-jour en velours vert, volutes de fumée, atmosphère tamisée] Dans un coin, quatre sièges toujours vides. À la table voisine, des hommes fument — costumes, chemises, boutons de nacre. Calmes et complices, échangent des mots amusés. Certainement amis depuis longtemps. Parfois, un contrôleur passe, silence. Prochain arrêt, les hommes descendent. Regard hors champ à travers la vitre. Les montagnes sont percées de vallées, dessinées par l’eau qui ruisselle. L’esprit siffle et suit la brise. Paysage reposant, pourtant perturbé par des bruits lointains d’objets dans de tremblantes lumières.
« Seuls les cours d’eau serpentant dans la vallée
Lancent parfois des éclairs d’argent.
Souvent des rossignols comme au sortir d’un rêve,
S’éveillent avec de doux accents,
Partout s’agite dans les arbres
Le mystérieux frisson du souvenir.
La joie ne peut se taire d’un seul coup.
De l’éclat et des plaisirs du jour
Je garde moi aussi un chant mystérieux
Resté au plus profond de mon coeur.
Et joyeusement je fais sonner mes cordes. »
Photogramme issu du film The River’s edge, Allan Dwan (réal.), 1999
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Martin Ferrer
[Exterieur/Jour] Une ville brumeuse, grisée de béton. Un réseau normalisé, une dynamique productiviste. Or, les vies ici présentes ne se sont pas résolues et parfois s’ébruite un battement de révolte. Brusquement, le wagon est vide et le corps retrouvé soudain se crispe.
[Interlude]Je ne sais ce qui suit, — si je te suis ou t’évite. — Tu me rêves la fuite — de ces ombres bleues — suintant tout le long — de mes clos yeux — Je mordrais ta crainte — au milieu du grand désir pour t’entendre ricochet — sur l’étendue sulfureuse — de ton huile savante. — Tu resteras l’escapade de mes doutes savoureux — dans ce monde caillou. — Je me casse les dents — sur cette immense dentelle — de rires et d’ossements. — Tu es l’espace gigogne — de la cigogne d’Espagne, — volant sous les soucis — de ton étoile fleurie. — Je te regarde dehors — le ciel est capricieux — jaloux de ton cerveau — tu ne cesses de pleurer. — Je te roule dans la boue — dans mon ventre tu glisses. — Le soupir se délisse — sous le fer à cheval — qui court dans les champs — du monstre à deux têtes. — Tu trébuches sur ma langue — de bois de rose des vents. — Vivant tu bois cette prose, — roulant comme une bille — de ta gorge au bitume. — Je m’en irai flotter — sur tes ailes libérées — face au gris rectangle — d’une cité négligée. — J’entends les mécaniques — des tristes fourmilières — se fondre dans les murs. — Ces rapides véhicules — crachant l’air saturé — attristent et étranglent. — J’ai peur, toi la solution. — Liquide froid et violet — que la lymphe de tes veines, — coule des lèvres en dedans — et ramolli tout mon antre. — C’est la chute des oiseaux — dans l’asphalte du ciel. — Je suis le nouveau doute — tu es la bonne réponse. — La clé de sol sans soleil — Et l’amour sans l’arme. — Tu sens trembler ma carne — rompre avec ta folie. — Tu désespères de me voir — et je voudrais te toucher,mais je ne comprends pas. — Est-ce une rencontre — ou l’inévitable fuite ? — Évident, rien ne l’est.
Photogramme issu du film Purple Rain, Albert Magnoli (réal.), 1997
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Marine Gauthrot
[Extérieur / Nuit]La nuit est tombée, la lumière est verte. Triste tableau qu’il faut teinter de violet… Le doigt trempe dans le liquide froid et sucré puis jette quelques gouttes sur la moquette. Décidée, la main se saisit du verre, et la glace ricoche contre les parois. Glisse dans la gorge le goût pour l’ailleurs. Mais cette fiction est transitoire et déjà se dissolvent les effets. L’inévitable du rêve synthétique, c’est qu’il fait redescendre sur terre toujours un peu plus violemment. Terminus.
[Extérieur / Nuit. Friches.
Voie ferrée, embrasement lunaire]Le train est loin, ultime sirène, sérénité. Ici, des locaux carrés et vides jouxtent le chemin de fer. Totalement inanimés, pourtant on voit. Verres brisés, peintures, mégots, câbles écorchés, tôles froissées, bâches, madriers éparpillés. On entend. Le vent court des feuilles aux fenêtres, les portes claquent, les plâtres s’effritent et des bruits de pas sur le toit. Humer les parfums d’herbes bétonnées. La solitude accompagne la marche, flaque de boue.
photographie de l'ancienne usine Fichet, rue Oberlin, Nancy
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Léa Silvestrucci
[Intérieur / Aube. Local.
Couloirs, débris, crépuscule] Aller sans but ni détour, l’endroit est vaste. Le bruit des pas résonne, le vent hurle. Terrifiés, les amants de poussière se blottissent dans l’ombre. L’heure bleue. Mort du mythe, peur, doute, tristesse. Les sanglots éclatent aux visages et étouffent. Premiers hoquets, le récit est rayé, dernière représentation, c’est la fin, sortie de scène.
Marie Léon, Lise Queïnnec, Marie Biaudet, Charlotte Munsch & Léa Silvestrucci
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photogrammes extraits du film Purple Rain, Alberto Magnoli (réal.), 1985
Forme(s) de lecture, lecture(s) de forme 2016 – 2017 est un atelier de recherche et de création sur les stratégies et les potentiels narratifs des dispositifs de médiation.
Durant l’année 2016 – 2017, l’atelier s’est attelé durant 20 séances a explorer un pan de la culture populaire au travers de l’icône musicale Prince. Il s’agissait tout d’abord de comprendre l’élaboration du mythe à partir du contexte social et économique de l’époque afin d’identifier les différents facteurs ayant contribué à sa construction. Cette étude a mené les participants à générer une bande sonore puis un film, Quartz, en collaboration avec les étudiants de l’atelier DIY coordonné par Justin Morin.
Entre 1950 et 1970, le rock était considéré comme une musique urbaine et contestataire, celle-ci se différenciait des autres par une certaine négation de l’imaginaire. C’est en 1960, lors de l’émergence de la pop musique qu’apparut la revendication d’une identité sociale révélée par l’âge : « Le statut de jeune a pu être vécu comme une idée sociale ou une conscience de classe01 ». La pop prit ainsi la revanche sur l’imaginaire, en proposant une mise en parenthèse du monde réel.
Un an auparavant, en 1959, Berry Gordy, ancien boxeur, créa la maison de disques Motown 02 à Detroit. Cette dernière contribua à l’émancipation d’une musique afro-américaine dont le répertoire subissait les conséquences du Rip Off03 . Gordy proposa ainsi un choix musical élargi et adapté au marché. Naquit ce que l’on nomma le Cross-Over, rapprochement entre pop musique et Rythm’n’Blues. Ce mélange fut à l’origine de l’émergence de figures telles que Prince ou Mickael Jackson, ni blanc, ni noir, ni homme, ni femme, ni homosexuel, ni hétérosexuel. « Am I Black or White ? Am I Straight or Gay ? » (Prince, « Controversy », Controversy, 1981)
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intérieur de la pochette vinyle de l’album The The Lamb Lies Down on Broadway, Genesis, 1974
Pour la réalisation de cette bande sonore composée de huit titres, les participants ont travaillé à partir du film Purple Rain (Albert Magnoli, 1985) et du répertoire musical de Prince.
Afin de structurer musicalement chacun des titres, chaque participant s’est confronté à l’écriture commune d’une fiction en prenant comme modèle le double album concept The Lamb Lies Down on Broadway du groupe Genesis sorti en 1974. Peter Gabriel, chanteur et leader du groupe, écrivit pour ce disque les aventures d’un personnage fictif Rael, inspiré du film El Topo d’Alejandro Jodorowsky réalisé en 1970. L’ensemble des étudiants a bénéficié durant trois séances de l’aide précieuse du musicien et producteur Guillaume Brière.
Enfin la performance filmée Quartz qui accompagne la bande sonore a été produite par les étudiants de l’atelier DIY avec l’aide des participants de l’atelier Forme(s) de lecture, lecture(s) de forme. L’atelier DIY s’est chargé de créer les personnages ainsi que l’ensemble de la chorégraphie en collaboration avec le danseur et interprète Manuel Guthfreund. Ce travail a été réalisé lors de séances croisées entre les deux ateliers, ces dernières ont permis une construction symbiotique des éléments du projet Paisley Park.
01
Érik Neveu, « Won’t get fooled again ? Pop musique et idéologie de la génération abusée » in Vibrations, hors-série, 1991, p. 44
03
« Le Rip off consiste à réinterpréter une chanson dans une version moins ‘typée’ et sans reconnaissance de paternité, des œuvres noires susceptibles de devenir des succès grand public par des musiciens blancs qui en recueillaient les bénéfices et la notoriété. »
Gabrielle Knecht-Bechdolff, « Musique noire tous publics : la recette Motown » in Revue Française d’Études Américaines, n°60, mai 1994. p. 194
ARTISTES INVITÉS
GUILLAUME BRIÈRE
MANUEL GUTHFREUND
PARTICIPANTS — FORME(S) DE LECTURE, LECTURE(S) DE FORME